samedi 16 juillet 2016

Beni – Père Gaston Mumbere : « Le peuple doit passer du rôle de victime à celui d’acteur ».

Le Père Gaston Mumbere ne cesse de dénoncer non seulement les massacres commis à Beni, mais également toute l’instabilité qui sévit à l’Est de la République Démocratique du Congo. Pour Dunia Kongo Media, il a accepté d’évoquer l’essence d’un combat auquel il appelle le peuple congolais à se joindre.


  •     Vous vous êtes rendu célèbre par cette fameuse lettre adressée au président Kabila, où vous dénonciez vivement les crimes commis à Beni. Quelle a été la genèse de cette lettre ?
Père Gaston Mumbere : « Je me suis levé un matin, et comme d’habitude, j’ai reçu des images atroces de massacres et d’assassinats. Jusque là, j’écrivais des articles, mais je me suis dit qu’il fallait aller à la source, à la racine de la chose. C’est donc pour ça que je me suis dit qu’il fallait écrire au président, parce que c’est lui qui est sensé gouverner le pays légitimement, alors c’est à lui que l’on peut demander des comptes. En se réveillant chaque jour avec des images atroces, c’est la moindre des choses qu’on puisse faire. »
  •     Cette lettre, vous l’avez adressée également à d’autres personnalités politiques congolaises ainsi qu’à de nombreux acteurs de la communauté internationale. En avez-vous eu des retours ?
Père Gaston Mumbere : « Oui, j’ai eu des retours par courriels, les gens me disent qu’ils sont au courant et qu’ils suivent attentivement la situation politique au Congo. Je suis convaincu qu’on doit aussi faire avec la communauté internationale, avec les grandes puissances, ceux qui ont le droit de veto. Si ça peut faire bouger les choses, alors pourquoi pas ? »
  •     Entre les kidnappings et les assassinats, depuis des décennies, les personnalités de l’Église payent un lourd tribut dans l’activité des groupes armés à l’Est de la RDC. Pourquoi les prêtres sont-ils ainsi systématiquement ciblés ?
Père Gaston Mumbere : « Je n’ai pas de réponse exacte mais je pense qu’il faut frapper le moral du peuple. Le prêtre représente ce moral, car jusque là on pouvait enlever les gens, les violer, les tuer, mais en touchant au prêtre, on tue celui qui parle. Le prêtre, dans la communauté, c’est lui qui parle, qui prêche, qui ose briser le silence, donc en le tuant, c’est mettre le couteau là où ça fait mal ».
  •     Egalement originaire de cette région de Beni-Butembo, l’abbé MaluMalu, dont les obsèques nationales ont lieu en ce moment-même, a été ordonné à titre posthume Grand officier de l’Ordre national – Héros nationaux Kabila-Lumumba. On note également qu’il bénéficie aujourd’hui d’un statut de martyre de la RDC aux yeux de sa communauté d’origine. Pourquoi une telle considération ?
Père Gaston Mumbere : « Je profite d’abord de cette occasion pour présenter mes condoléances à toute sa famille, que je connais très bien, et aussi au diocèse de Butembo-Beni. Ensuite, je pense qu’il s’est fait connaître d’abord par le gouvernement congolais, pour lequel il a travaillé, pas seulement par l’Église catholique. Lui donner le titre de héros national maintenant… il est mort ! A quoi ça sert ? Je crois que ce qu’il nous a légué, ce qu’il nous laisse comme héritage, c’est la construction de ce pays qu’il a aimé, c’est à nous de suivre ce chemin qu’il a tracé. Mais si on est là pour nous flatter en lui donnant des titres ronflants qui ne disent rien, ça ne sert à rien, ce n’est pas là l’essentiel, il ne faut pas que nous soyons distraits avec tout ça ».
  •     Le mois dernier, est paru au Canada votre livre « La cloche ne sonnera plus à l’église de Butembo-Beni », où vous dénoncez une nouvelle fois le silence du pouvoir congolais face à la situation dans le territoire de Beni. À vos yeux, l’Etat n’en fait-il vraiment pas assez ?
Père Gaston Mumbere : « Je suis encore convaincu que la sécurité des congolais revient au pouvoir et au gouvernement congolais. J’ai lu des articles disant que le Congo avait la dixième armée la plus puissante en Afrique. Si ces gens sont vraiment compétents mais qu’ils n’agissent pas, alors c’est normal que la logique de la complicité soit agitée. C’est le silence. Pourquoi ce silence ? Ce que je dénonce en grande partie dans le livre, c’est le silence face aux massacres qui ont lieu à l’Est de la RDC. Et pourquoi tuer ceux qui osent parler ? Il me semble qu’il ne suffit pas de crier, de s’apitoyer, mais il faut parler des vraies affaires, briser ce silence. Et je me pose la question : à qui profite ce crime si on entretient le silence ? Donc dans ce livre, je pense apporter ma pierre dans la construction de cette maison qu’est la paix. Cette pierre, c’est prendre la parole, encourager les congolais à prendre la parole. Le peuple doit se réveiller, jouer ce rôle et  prendre la parole, devenir des acteurs au lieu d’être des victimes tout le temps. »
  • On sent que ce combat vous est cher. Est-ce aussi parce que vous avez vous-mêmes vécu personnellement ces massacres à Beni ?
Père Gaston Mumbere : « Cela fait 20 ans que nous vivons cette situation. Moi je suis originaire du territoire de Beni, j’ai grandi là-bas, vécu là-bas, je suis témoin. Ce que je raconte dans le livre ce n’est pas du cinéma, ce n’est pas du théâtre, c’est la réalité. J’ai vu certaines choses de mes yeux, et personne ne peut se taire. Il n’y a pas que moi, il y a des amis, des voisins, des victimes de ces massacres, et je me dois de parler, de dénoncer. »
  •     Quelle est votre réponse à ceux qui jugent aujourd’hui que la prière ne suffit pas et qui appellent à plus d’actions concrètes pour changer les choses au Congo ?
Père Gaston Mumbere : « Moi je suis un homme de Dieu, je suis prêtre. Il faut voir ce qu’on entend par prière. Une prière, ça peut être en dormant, mais ce n’est pas cette prière dont nous avons besoin ici. La vie entière peut être une prière, nous récitons d’ailleurs « Seigneur, fais que ma vie soit prière ». Il faut donc que la prière soit action, qu’on prie, mais qu’on agisse. Je ne suis pas là pour dire à la vieille dame qui a été kidnappée : « Madame, je vais prier pour toi », non ! C’est une parole, mais elle, elle a besoin que ma prière devienne action. Agir, c’est aussi une prière. »

Propos recueillis par Hakim Maludi

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