lundi 8 octobre 2018

Le cortège funèbre de Beni ne sera pas télévisé


C’est le moment du répit avant peut-être le prochain massacre. Sarcasme et délire se succèdent. Les langues se délient et le venin se répand. À peine deux jours après les derniers massacres, les commentaires et les interprétations dissipent déjà les cris de ceux qui pleurent. Les uns parlent des milices de la montagne, et les autres pointent du doigt les milices de la vallée ou alors de la plaine. Les forces loyalistes se retrouvent aussi sur la liste des accusés. Les discours se multiplient, les médias sociaux s’y mêlent, on entend qu’il s’agit d’une mascarade électoraliste ou d’une occupation du territoire en douceur, ou alors de la folie de l’exploitation minière... Puis, les discours s’enchainent jusqu’à donner lieu aux bagarres d’interprétations où les ethnies sont convoquées au banc des accusés. Entre temps, on ne voit plus les corps qui gisent sous le soleil accablant de Beni ; on ne voit plus cette femme inconsolable devant les corps sans vie de ses deux enfants. Du coup, la réalité de massacre s’efface progressivement au profit de la diversion ou de l’acharnement statistique sur le nombre de victimes ou encore au profit des discours qui font porter le poids de massacres à une ethnie qui s’entretue constamment, dit-on.

Vers la fin des discours, tout le monde désire un avenir radieux pour les générations à venir ou pour les enfants qui sont en train de naître déjà orphelins. Le problème, ce qu’on en parle en des termes individuels ! La communauté s’envole dans le songe de quelques fous. Ce qui compte, c’est ce qu’on amasse dans ses poches, ces billets verts qui bientôt seront rouges, car provenant du sang humain qui n’arrête de couler. On se préoccupe beaucoup d’une maison incendiée loin dans la forêt sur la route de Musienene que de la route de collectivité ou d’un hôpital pour les femmes violées. Ce qui compte, ce n’est pas l’histoire de Kasabinyole, Paida, Kasanga ou Kasinga, ces quartiers marqués à jamais par les affres de Kalachnikov dans la nuit du 22 septembre 2018. Ils sont morts et c’est la fin de l’histoire. Leur histoire ne fait pas événement et de ce fait elle n’est pas télévisée. C’est une histoire qui ne peut jamais capter le spectateur. Ce dernier semble plutôt adepte des faits divers. Entre temps, le géant écrase les petits, c’est lui le gagnant, il réussit à écarter même la moindre sensibilité humaine au profit des faits divers.

La distraction emballe et aveugle. On ne voit plus cette femme qui crie durant toute la nuit, elle est toute seule et n’arrive pas à enterrer ses morts. On ne la voit plus et on ne l’entend plus. Les billets verts nous éloignent d’elle. On s’enivre et on ricane comme si la vie était devenue un théâtre banal où l’humain se refuse de penser. Et pourtant, l’analphabète même le plus ignorant de tous voit toujours gémir la naissance du monde dans le pays de l’éducation... C’est son rêve de tout le temps. Il rêve de ce pays où les prisons se videront, les avocats et les juges revêtiront fièrement leurs toges et les lettres de noblesse seront rendues à la mère de tous qu’est l’éducation, la vraie ! 

Gaston Mumbere,