dimanche 31 juillet 2016

Retour sur les massacres de Beni



Il ne s’agit pas de réveiller le chat qui dort ! Il est de notre devoir d’honorer la mémoire des innocents qui ont péri dans une des pires barbaries de l’humanité. Honorer la mémoire est tout à fait naturel. Cependant, ce geste est aussi un appel ardent pour la justice dans ce pays où l’humain subit la mort de la part des géants, car l’impunité, la corruption pèsent lourds sur la justice… La mémoire de plusieurs morts soulignée à partir de ces lignes infimes est un cri du cœur pour la justice tant attendue depuis plus de vingt ans de servitude. Plus de 8 millions de morts ! Le chiffre est accablant… Mais la justice n’est pas réclamée à cause de ces données statistiques alarmantes. Elle n’appartient pas aux chiffres (8 millions) ni aux numéros. Elle est le droit fondamental des femmes et des hommes.  

Il serait intéressant d’écrire une page des noms de tous ces innocents des violences de tous genres commis au Congo. Ces morts ne sont pas un chiffre. Ils ont chacun et chacune un nom ! Pour le moment, ce travail de recension et de nomenclature dépasse nos compétences. Nous le soumettons aux chercheurs avertis. Indiquons en même temps que le « retour sur les massacres de grande envergure de Beni » ne sera pas exhaustif. Nous aurions aimé entrer dans les détails des faits : donner les noms, les dates, les images et les modes d’opérations…  Ces genres de travail existent – bien que modestement – et  nous en félicitons les initiateurs.

Ces paragraphes qui sont les nôtres plaident tout simplement pour la mémoire et la justice. Ils appellent inlassablement à Voir, à Juger et à Agir. Le dernier massacre remonte au 16 juillet 2016, à Vemba, non loin de Mavivi en territoire de Beni. Il y a donc un temps de répit car nous sommes le 29 juillet sans massacres. (Nous parlons ici de massacres à la machette. Car, le territoire de Beni demeure jour et nuit les lieux d’hostilités. Nous apprenons par exemple ce samedi 30 juillet l’occupation de la ville d’Oicha par des milices non identifiées. Un affrontement a eu lieu en pleine ville entre les militaires congolais et ces milices. Maison brulée, biens pillés, et quelques blessés, tel est le bilan provisoire que donnent les réseaux sociaux.) Le temps de répit dont il s’agit ici se réfère seulement aux égorgements systématiques des populations. C’est ce temps d’accalmie qui correspond aussi malheureusement au temps de discours démagogiques de certains dirigeants… Ces discours distraient et offrent des faux espoirs au peuple meurtri au risque d’oublier le sang des victimes qui réclame « justice ».

Depuis le 2 octobre 2014, Beni est devenu le symbole du chaos d’un gouvernement en péril.  Des massacres, des viols, des enlèvements, des villages incendiés, des assassinats se succèdent au vu et au su de ceux qui sont censés sécuriser les citoyens. Le bilan est lourd comme le mentionnent plusieurs organismes de droit de la personne. Beni est devenu le territoire le plus arrosé par le sang de ses enfants égorgés ou assassinés. Avant, il n’est pas épargné non plus, comme c’est le cas dans tout l’Est de la RD Congo, par les guerres d’occupations massives de ses régions par les forces négatives venant du Rwanda et de l’Ouganda. Le viol, le pillage de ressources minières, les tueries au fusil y étaient monnaie courante. Les peuples ont essayé de survivre pendant plusieurs années dans ce climat de terreur.

Cependant, ces deux dernières années, la stratégie de terreur a pris un visage macabre qui ne peut laisser indifférent même le cynique le plus sévère du monde : égorgement des enfants, égorgements des femmes enceintes, égorgements des hommes devant leurs enfants, égorgement des malades sur les lits des hôpitaux, etc. Qui peut se taire devant ces atrocités ? C’est tout simplement étonnant de remarquer le silence de ceux qui ont le pouvoir d’arrêter ce carnage. Le silence même devant la mort des hommes influents aux yeux du gouvernement : Le colonel Mamadou Ndala, le général Lucien Bahuma, le père Vincent Machozi et bien d’autres. Le silence a aussi gagné sur l’enlèvement de trois prêtres assomptionnistes (Jean-Pierre, Anselme et Edmond), kidnappés depuis le 19 octobre 2012. Le silence a donc érigé son mur de terreur. Entre temps les villages, les cités ou localités de Ngadi, d’Eringeti, Mavivi, Mbau, Oicha, Aili, Mamove, Katimadoko, Munzabaye, Kasinga, Buili, Kokola, Mayimoya, Kainama, Malibo, Kambi ya miba, Sulungwe, Mukida, Mabuo, Mongomongo, Malolu, Tipiomba, Ontoto,  Linzosisene, Mukoko pleurent leurs morts.

Certaines cités ont été même incendiées…  Au cœur de toutes ces barbaries se trouve le coltan, minerai indispensable pour les appareils dits « intelligents ». Les habitants, en retournant dans leurs villages, constatent tout simplement les marques d’exploitation des minerais sur leurs terrains. L’opération consiste donc à terroriser les villageois pour qu’ils abandonnent leur terre aux exploiteurs. S’ils résistent, ils courent le risque d’être égorgés.

À qui profitent ces crimes ? C’est la question qu’on essaie t’étouffer pendant ces années de carnage dans le territoire de Beni. Le gouvernement du Congo, par la voix de son porte-parole, se contente d’attribuer ces tueries, surtout lorsque le peuple lui demande des comptes, aux milices « ADF-Nalu ». Pourtant plusieurs rapports indiquent que ces ADF n’existent quasiment plus. Leur chef, Jamil Mukulu est d’ailleurs sous les arrêts en Ouganda.

La logique ne tient pas la route. Aucune explication ne peut prouver et attribuer la mort de plus de 2 mille personnes de Beni à la milice « ADF-Nalu ». Et lorsqu’on ne veut pas pointer les « ADF », le gouvernement ou ses partenaires choisissent le silence. Aux yeux de plusieurs, ce silence n’est pas sain surtout pour un pays doté de la 10ème puissance militaire africaine. Toutes ces analyses indiquent un grand degré de complicité entre le gouvernement et les pillards du Congo. Il est donc clair que les crimes du Congo ne profitent pas aux congolais. Ils profitent plutôt au système formé de quelques individus : les commanditaires, les sous-traitants et les exécutants.Voir- Juger- Agir ! Nous avons vu et juger. Le constat indique que l’Agir efficace réclame le réveil du peuple. Il est celui à qui appartient le destin de ce pays. En se réveillant, il est compétent et crédible à agir sur les exécutants qui,  parfois, partagent le quotidien du peuple. C’est ce réveil que réclame le sang de ceux qui ont péri dans les massacres de Beni. Devant un gouvernement en  faillite, le peuple demeure la dernière ligne droite avant la descente en enfer. Il est alors crédible à rendre justice tout en corrigeant les impunités qui ruinent les institutions de notre cher Congo d’amour !

Père Gaston Mumbere, Assomptionniste

jeudi 28 juillet 2016

Ce pays qui assassine son peuple


Des images, des dates et des discours. Enfin le silence !  Voilà ce qui rythme la vie des congolais et congolaises à l’Est de leur pays. Encore des massacres ! C’est devenu un refrain quotidien.  Des tueries, des viols, des massacres imposent ce refrain pathétique dans le quotidien des kivutiens. Ce refrain témoigne d’une certaine manière de l’écrasement et de l’impuissance d’un peuple. Celui-ci  ne sait même plus comment enterrer ses morts. Il est vraiment écrasé. L’horizon de s’en sortir semble bouché. Sous les yeux, il n’y a que des images, des paroles et des dates. Ces éléments nous permettent tout simplement de faire un travail de mémoire : honorer ces femmes, ces hommes et ces enfants que nous avons connus. Leur sang est de grand prix à nos yeux. Le sang de ces martyrs est aussi une semence qui aspire de toutes ses forces à voir se révéler chez les humains le courage du « Non, c’est assez ! ». Si nous évoquons ici quelques noms de ceux qui ont péri dans les massacres à l’Est du Congo, c’est donc d’une part pour honorer leur mémoire, et d’autre part pour arroser la semence du courage du «Non, on en a marre ! » chez les humains ; le courage de construire ensemble la maison commune de la paix. 

Les faits se donnent à voir. Surtout lorsqu’on s’arrête à ce qui se passe dans le territoire de Beni. Tout y est chaotique ! Plusieurs cris de détresse ont été adressés au gouvernement central du Congo et à la communauté dite internationale. La situation dégénère plutôt davantage. Dans ce cas, il revient au peuple de se réveiller et de devenir « acteur » crédible pour la paix. Il devrait se méfier lorsqu’il est présenté chaque fois aux yeux du monde dans des robes de victimes pour qui, il faut avoir pitié. La dignité des humains est donc remise entre les mains du peuple…  C’est là même que la démocratie puise ses forces. Le peuple est souverain pour valider ou désavouer ses gouvernants. C’est son droit fondamental de choisir ses dirigeants d’après les règles fixés par lui-même. Aucun dirigeant ne serait supérieur au peuple qu’il est censé servir. Ce n’est pas une utopie bienheureuse. Et s’il arrivait qu’il en soit ainsi, cette utopie est du moins « mobilisatrice ».

Ils sont nombreux à avoir cru en cette utopie. Ils en ont payé le prix. C’est notamment le colonel Mamadou Ndala.  Ce jeune officier incarnait l’espoir de tout un peuple. Il avait botté la milice du M23 hors du pays. Oups ! Il est mort… Il fut sauvagement tué le 2 janvier 2014 en pleine journée à Beni. On a les images et les dates. Les paroles aussi. Celles qui nous intéressent sont celles du ministre congolais des Médias et porte-parole du gouvernement : « Oui, malheureusement, à une dizaine de kilomètres de Beni. Il est mort avec 2 gardes du corps. Le gouvernement s’incline devant la mémoire d’un de nos meilleurs soldats d’élite» Le même jour  et dans la précipitation, le communiqué officiel avait attribué l'attaque à la roquette ayant tué l'officier aux rebelles ougandais de l'ADF… [http://www.jeuneafrique.com/166331/politique/rdc-assassinat-de-mamadou-ndala-l-enqu-te-s-oriente-vers-la-piste-fardc/] Des images, des dates et des paroles ! Et c’est tout. C’est le même scénario qui va se répéter pour le successeur de Mamadou. « Le général-major Lucien Bahuma Ambamba, commandant de la 8e région militaire (province du Nord-Kivu) est ‘‘décédé samedi 30 août 2014 à Pretoria en Afrique du Sud de suite d’un Accident cardiovasculaire (AVC)’’, a annoncé dimanche 31 août 2014 le porte-parole des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).» On se contente d’un communiqué et rien de plus. 

Mamadou assassiné, Bahuma victime d’un AVC seront remplacé par un officier controversé : le général Muhindo Akili Mundos. Son règne coïncide avec les égorgements de Beni. Un ancien ministre aux affaires étrangères l’avait même pointé du doigt sur les ondes de la Radio France Internationale comme étant l’auteur des massacres à Beni [http://www.rfi.fr/afrique/20141025-adf-nalu-ancien-ministre-congolais-met-cause-haut-grade]. Ces accusations n’avaient malheureusement pas arrêté le carnage de benitiens. Ce n’est qu’après plusieurs grognes que Mundos fut éloigné dans une autre région militaire. Mais le pire était fait et il continue jusqu’aujourd’hui. Des femmes sont violées, des enfants égorgés, des hommes enlevés. Quiconque ose parler pour ces victimes subit le même sort. Le père Vincent  Machozi, prêtre assomptionniste, a aussi laissé sa vie dans la même région en conflit. L’indignation a cette fois-ci atteint le monde et les réseaux sociaux. « Je suis Beni » est vite devenu le mot-clé qui exprime le l’indignation du peuple souffrant à l’Est du Congo. 

Certaines mobilisations et manifestations furent réprimées par le gouvernementAu même moment, les peuples de Mavivi, de Kibirizi, d’Éringeti n’arrivent pas à enterrer leurs morts ni à les compter… Ils sont égorgés depuis près de deux ans non loin des campements des forces de l’ordre. Les survivants n’ont que des images, des dates et des discours. Ceux qui veillent sur la sécurité ne se manifestent pas alors qu’ils sont gusto… 

Cher gouvernement congolais, êtes-vous toujours apte et compétent pour entendre les cris des humains à l’Est du Congo ?  Si vous êtes toujours compétent alors que vous n’agissez pas, la logique de la complicité risque de vous voir accuser.

Père Gaston Mumbere, Assomptionniste