mercredi 30 décembre 2015

Quel dialogue dans un pays qui égorge ses enfants ?



Lorsque le mal ou la mort devient banal, il me semble qu’il y a urgence à se réveiller. Se réveiller vraiment au-delà des lamentations, au-delà des discours sur les morts. Ainsi le temps de s’apitoyer n’est plus à entretenir pour freiner le carnage maintenant des enfants. L’heure est grave ! Qui peut encore se lamenter ou s’apitoyer ou exprimer des vœux pieux pendant que les enfants sont égorgés ? L’autre est en situation de danger de mort ! Cet autre, mon frère ou ma sœur en humanité se trouve pour le moment  au Congo, en territoire de Beni. On parle de plus de 8 millions de personnes tuées par la guerre du Congo ! Oui, c’est juste 8 millions !!! Faudrait-il toujours évoquer ce chiffre pour sensibiliser le gouvernement congolais aux problèmes du Congo ? Faudrait-il toujours évoquer les 600 personnes égorgées depuis octobre 2014 dont les enfants, pour sensibiliser la communauté internationale aux massacres du Congo ?

Il me semble que le massacre au Congo ne tue pas seulement les peuples congolais. C’est l’humain en tant qu’humain qui est bafoué et détruit. Lorsqu’on viole une même femme plusieurs fois, ce n’est pas le plaisir qui est recherché… c’est plutôt, me semble-t-il, l’être de la femme qui est bafoué. Cet « être » de femme déborde les frontières géographiques de ce pays dit, démocratique. Dans cet esprit, je peux alors continuer à écrire et partager la peine des parents de cet enfant égorgé par un autre « son semblable ». Il n’y a jamais eu de funérailles ni de deuil pour cet enfant.

Et voilà que le gouvernement congolais souhaite organiser des pourparlers avec les parents des enfants égorgés ! Je pense que personne n’est contre le dialogue. Le vrai ! Car, le dialogue peut être confondu avec la négociation où on cherche des compromis et des accords. Le dialogue peut aussi être confondu avec le débat où on cherche un gagnant et un perdant. Le dialogue peut être encore confondu avec une conversation qui n’engage personne…  La situation telle qu’elle se présente actuellement ne semble donc pas appropriée à ce genre d’exercice pourtant noble de la démocratie. Les participants ne sont pas crédibles aux yeux de cette femme violée. Et d’ailleurs cette dernière n’y est pas invitée. Les invités au fameux dialogue sont le gouvernement et des opposants. Ce sont des instances. Or les instances ne peuvent pas dialoguer de même qu’il est impossible entre le christianisme et le bouddhisme. Les « isme » ne dialoguent pas. Le dialogue est seulement possible entre un chrétien « x » et un bouddhiste « y ». L’un ne cherche pas un accord, ni une conciliation par un compromis. Nous souhaitons que ce dialogue cherche une meilleure compréhension de l’histoire de l’autre…Il s’agit de  chercher à comprendre ce qui fait vibrer celui ou celle qui est devant moi…

Pour le moment ce genre d’exercicee semble une illusion dans ce pays qui égorge ses enfants. L’urgence est ailleurs : Enterrer les cadavres qui gisent sous le soleil de Beni, arrêter les massacres, initier des enquêtes indépendantes et internationales, libérer plus de 800 personnes kidnappés (dont 3 prêtres assomptionnistes) depuis 3 ans, sécuriser les populations et leurs biens, etc. Et redonner à la mort son statut de sacré. Ceux qui connaissent l’un ou l’autre membre à même de nous sortir de ce massacre peuvent librement lui partager ce cri de souffrance. Ensemble nous pouvons faire la déférence.          

Fr. Gaston Mumbere, a.a.

jeudi 24 décembre 2015

Beni, l’abattoir des humains



Mes mains tremblent pendant que je saisis ces quelques mots. En même temps, je me dis que c’est scandaleux de ne pas tenir sa plume pour ce peuple du territoire de Beni… Beni, ne vous dit peut-être rien. C’est normal. Personne n’en parle. Même moi, je n’en parle pas. Les rares de fois que j’ose en parler, on me fait fermer la gueule (C’est ce qui se passe sur ma page Facebook). Nous devons nous taire. Nous taire vraiment ! Oui, nous taire afin d’oublier la mémoire de ce peuple. Un peuple comme le mien n’a pas d’histoire, ni de mémoire. La région n’est pas seulement vidée, elle est aussi détruite. Il n’y a plus de mémoire… C’est le silence qui doit être observé. Le silence de cimetière. On enterre et c’est tout ! Oui, enterrer pour ceux qui ont la chance de bénéficier ce service. Pour plusieurs, ils sont tout simplement coulés dans une fosse commune, partiellement couverte… Ces morts sont pourris, les mouches  font leur festival dinatoire… Heureusement, personne ne peut arrêter l’odeur des milliers des cadavres qui gisent sous le soleil de Beni… Leur odeur nauséabonde nous parvient et nous dérange… Leur odeur nous demande de délier notre langue jadis muselée par peur de profiteurs de ces crimes…

Si j’ose vous écrire, ce n’est pas juste pour nous passer l’information. L’information n’engage personne. Elle est comme un message que les télévisons nous transmettent. Ce que je désire ardemment est au-delà de la transmission du message ou de l’information. Je nous demande plutôt de penser ne fût-ce qu’une minute aux populations du territoire de Beni qui ne pourront pas célébrer Noël ou la bonne année 2016. L’odeur de pourritures de cadavres humains a fait de ce lieu le théâtre de la banalité du mal. La mort n’est plus sacrée, n’est plus un mystère. Avant, on tuait au moins par fusil, aujourd’hui, on égorge. Nous sommes au paroxysme de la pire banalité que l’humanité n’ait connue : garder silence pendant que l’autre s’amuse à égorger, à décapiter ces semblables. Justement, c’est la tête qui est coupée… autrement dit, la parole.
Ce jeudi 24 décembre 2015, 7 corps ont été retrouvés sans têtes dans la localité de Mavivi en territoire de Beni, à l’Est de la République dite Démocratique du Congo. D’après la radio Moto-Oïcha (tenue par les prêtres assomptionnistes), ce drame a eu lieu non loin des positions de forces armées du Congo… Outre leur incompétence à protéger la population, ces forces armées seraient-elles des complices ? Je m’en fous de ce qui peut m’arriver, mais, la question est posée !

Voilà à quoi donc ressemble le quotidien depuis quelques années de ces peuples sans histoire. Il leur est interdit de parler ! Ils sont condamnés à mourir silencieusement. Leur odeur de pourriture reste leur seul cri qui nous demande de parler pour leurs enfants qui n’ont jamais connu la joie de Noël… Leur odeur nous demande de faire advenir le sauveur né à Bethlehem en parlant pour ces familles où l’un de leurs fut égorgé le matin du 24 décembre 2015.

Ensemble, Brisons le silence. 

Fr. Gaston Mumbere, a.a.

samedi 19 décembre 2015

La vie vaut-elle la peine d’être vécue ?

« La vie vaut-elle la peine d’être vécue? » C’est une question grave que ce père de famille adresse au journaliste de la radio moto Butembo-Beni, alors qu’ils constataient impuissamment ce mardi 24 novembre la continuité des tueries que subit la population à l’Est de la République Démocratique du Congo. Lors de mes vacances l’Été dernier au Congo, une de mes grand-mères m’avait exprimé son choix de mourir par fusil comme ils en étaient déjà habitués. Une autre encore aurait demandé au gouvernement de permettre que chaque mort soit enterré dans un cercueil. La lutte n’est plus de vivre ni de survivre… la lutte est ailleurs, la lutte est dramatique. Le débat se pose désormais sur le « comment mourir», le « comment il faut être mis en terre. » De toute façon, on est déjà mort ! La vie ne compte plus. La vie ne convient plus à l’humain. Si tel est le cas, à quoi bon vivre, murmurait ce père famille… Les atrocités sont éminemment graves si bien que le lecteur ou la lectrice de ces phrases peut penser à une exagération de la part de celui écrit. Et pourtant, je ne vous ai pas parlé du viol, des enlèvements, du pillage… Croyez-moi, il n’y a rien d’exagéré. Mes phrases sont d’ailleurs adoucies. J’ai pensé tout simplement vous partager quelques inquiétudes que vivent les humains de l’Est du Congo, d’où je suis originaire. Je suis conscient que chaque petit geste compte beaucoup : juste partager l’information de cette femme violée plusieurs fois, de ces plus de 500 familles qui ont assisté timidement à l’égorgement de leurs frères ou sœurs, de ces plus de 800 personnes portées disparues… Avant, j’étais gêné de vous en parler car vous avez aussi d’autres problématiques mais à d’autres niveaux. Cependant, il me semble que le temps est venu de briser le silence. Une fois le silence sera brisé, je m’imagine qu’il sera normal de se défaire des grands discours pendant que les morts sont enterrés chaque jour dans une fosse commune. Je pense que le temps de faire des discours sur la souffrance, sur les réfugiés, sur les femmes violées devient de plus en plus révolu… Car, tant qu’on aura peur de l’autre, parce qu’on veut sauvegarder son propre confort, il semble qu’on sera toujours à l’aise de parler sur la souffrance, sur le viol, sur la mort de l’autre. Et pourtant, l’autre existe, l’autre partage avec moi les mêmes racines humaines, l’autre existe indépendamment de son viol, de sa guerre ou de toutes sortes d’atrocités qui apparemment semblent le définir. N’est-il donc pas urgent de parler aux femmes violées que de faire une conférence sur le viol, de parler à ce père de famille qui pleure ses enfants égorgés que de faire une conférence sur les tueries dans le pays du sud… Et cette structure du raisonnement peut s’étendre aussi sur la problématique de l’heure : les réfugiés.

Fr. Gaston Mumbere, a.a.
Prêtre assomptionniste

Notre cri pour ces malades égorgés

Mes doigts tremblent sur mon clavier, alors que j’essaie de vous partager le cri de souffrance de ces humains, nos frères et sœurs à l’Est de la République dite Démocratique…  En plus, je me demandais en moi-même : « à quoi ça sert de vous écrire sur le massacre qui se passe à des milliers de km de l’endroit où nous nous trouvons ? » Il serait bon, j’en conviens, ne fut-ce quelques fois, de vous parler des merveilles paradisiaques du Congo. Il y en a sans doute. Mais il me semble que ce n’est pas le meilleur moment. Ces merveilles n’ont plus de sens lorsqu’on assiste impuissamment et presque chaque jour à l’égorgement de ses frères et sœurs. Voilà ce qui motive le choix de mes écrits…
Tout découragé, justement à cause de l’ampleur de ces massacres, assis devant l’écran de mon ordinateur défilant des images macabres, je me suis demandé par où commencer…  ou ça vaut la peine de vous écrire. À ce même moment, je reçois le courriel d’une lectrice qui avait pris connaissance de notre dernier écrit. À la fin de son texte, elle écrit : « si vous, vous ne le faites pas qui va le faire ! » C’est étonnant : tout au long de son courriel, la dame me tutoyais et voilà subitement un « vous ». Elle aurait pu dire : « si toi Gaston, tu ne le fais pas… ». Il me semble que l’appel de cette dame convoque chacun individuellement à poser un petit geste. Et dans le cas du Congo, l’urgence semble être celui de briser le silence en partageant l’information. Il y en a plusieurs… Et pour cette fin de la semaine, j’ai choisi de vous partager l’inimaginable acte que l’humain peut poser à son semblable.
Le dimanche 29 novembre 2015, dans la localité d’Eringeti en territoire de Beni, à l’Est de la République Démocratique du Congo, tel que le rapporte la Commission Justice et Paix du diocèse de Butembo-Beni, marque le début de la banalité de la vie à son plus haut degré. Oui, les populations dans les zones du Kivu sont déjà habituées aux viols, aux enlèvements aux massacres mêmes des enfants, aux pillages causés par des groupes rebelles non-contrôlés. Ces choses ne les étonnent plus. Elles font partie du quotidien. Cependant, ils n’avaient jamais imaginé qu’un jour viendra où les malades alités à l’hôpital seront égorgés. Oui, égorger les malades. Voilà la réalité. Elle est dure à entendre, mais c’est la réalité.  
Je pensais que l’hôpital était le lieu qui nous redonnerait l’espoir de vivre encore. Ce n’est plus le cas. Il est devenu l’abattoir qui voit couler brutalement le sang de ma mère, de mon père, de ma sœur ou de mon frère. Oserions-nous afficher dans nos réseaux sociaux « Je suis Eringeti », « Je suis Beni », « Je suis Oïcha », « Je suis Kivu », ou « Je suis Congo » ?
Il me semble qu’il n’est jamais trop tard d’agir au-delà des bons discours. Il n’est  jamais trop tard de faire apprécier la vie à ces jeunes qui sont nés dans la guerre. Il n’est jamais trop tard d’ouvrir notre oreille afin d’entendre les cris de malades qui craignent le pire… Il n’est jamais trop…
Frère Gaston Mumbere, a.a.


Penser aux oubliés de la paix

« C'est troublant ce qui se passe au Congo. Ce trouble nous pousse, nous semble-t-il, à agir urgemment. » Par ces mots, le frère Gaston Mumbere ouvrait l’annonce d’une activité organisée au Montmartre et le Mouvement Paix au Congo. Il s’agissait de la projection du film L’homme qui répare les femmes.
Il est en effet troublant d’apprendre ce qui se passe à l’Est de la République Démocratique du Congo. Les atrocités qu’y subit la population sont inimaginables. Guerres, viols, enlèvements, incendies des villages, tueries à l’arme blanche. Telles sont autant de drames perpétrés par les groupes armés incontrôlés qui vivent sur le territoire de l’Est du Congo. Comme si cela ne suffisait pas, ils en sont venus à égorger des malades sur leurs lits d’hôpital le dimanche 29 novembre 2015! Dans tous les cas, c’est l’humanité de l’être humain qui est bafouée et banalisée.
Face à cette douloureuse situation, un cœur sensible ne saurait rester indifférent. Ainsi toute personne éprise de la cause de l’humain se trouve troublée par le sort de ses semblables. Une question permanente se fait lancinante : à qui profitent ces crimes ?
Pour faire une large diffusion de ces atrocités, la projection du film a été le moyen privilégié. Plusieurs personnes ont répondu favorablement à l’invitation. L’activité a eu lieu au Centre Culture et Foi le mercredi 09 décembre 2015. Elle se voulait une opportunité de penser aux victimes de la cruauté et à leurs proches, et de réfléchir ensemble sur la possibilité d’agir tant soit peu en faveur des oubliés de la paix que sont les Congolais.
Le film était très désarmant et parfois poignant. Pour certains, c’était la première fois d’avoir sous leurs yeux une illustration de l’affreuse situation au Congo. Au terme de la projection, toute l’assemblée s’est levée. Elle a observé un temps de silence en mémoire des disparus et, du même geste, exprimé son attachement aux autres victimes. Ce geste a été suivi d’un débat. Au-delà de l’émotion, les participants ont exprimé leur volonté à agir afin de contribuer à l’établissement de la paix dans la partie Est du Congo. Ils sont convaincus qu’il est encore temps redonner l’espoir de vivre, de bien vivre aux victimes des outrages et aux jeunes qui viennent au monde au moment où leurs congénères sont violentés et tués. Dans un premier temps, ils jugent urgent de briser le silence : il faut parler des crimes, transmettre l’information autant que possible.
La projection du film et l’affirmation de la volonté à agir exprimée lors du débat s’insèrent dans la continuité de bien d’autres actions déjà posées. En 2014, le Mouvement Paix au Congo avait composé et exécuté la chanson « Boboto » (Paix) en vue de promouvoir la paix en République Démocratique du Congo. Cette chanson est accessible sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=S9_E93sBFO0. Ensuite, en juin 2015, par la médiation de madame Carolle Poirier, députée au Québec, une motion (https://www.youtube.com/watch?v=NGbpfLGH5zk) qui condamne les crimes commis au Congo a été votée au parlement provincial du Québec. Aucun gouvernement n’avait jusqu’alors osé pareille entreprise. C’était la première motion au monde qui a nommé le génocide au Congo.
Ces réalisations attestent que toute pensée bienveillante et tout geste posé par amour comptent beaucoup pour la promotion de la paix et l’humanisation en République Démocratique du Congo.

Fr. Pacifique Kambale, a.a.

Le passage en Palestine : des échos dans nos chairs


Une parole ! Elle nous habite. En effet, elle est dite, puis elle effectue un parcours en nous et elle nous marque. Parce qu’elle nous habite, il faut alors avouer qu’elle est différente d’un discours sur quelque chose. Elle établit la relation entre celle ou celui qui la dit et celle ou celui qui la reçoit. En ce sens, on peut dire qu’il y a « parole de vie».  Ce ne sont plus des mots qui sont prononcés, mais une parole de relation et de vie. Ainsi quand il y a des paroles de vie qui se disent, il y a des vraies répercutions dans nos chairs. Ces paroles ouvrent des chemins insoupçonnés. Voilà, c’est depuis trois semaines que ces paroles de la professeure Anne Fortin (Université Laval) sur son expérience en Palestine raisonnent encore dans ma chair : Les femmes en Palestine sont devenues ministres dans l’Église-souffrante en fondant un Centre qui refait le tissus social grâce au projet d’artisanat.
Ce projet est un signe qui fait respirer une Église qui parle et qui court le risque de s’étouffer par ses propres mots… Des mots ! Il y en a encore… Et ils sont prononcés sur les femmes ou les hommes en danger de mort… J’y reviens parce qu’il y a quelques jours on a assisté au théâtre des mots sur les morts : « Burundi : faut-il une intervention étrangère ? »  Cette question est soulevée pendant que des dizaines de cadavres gisent dans les rues de Bujumbura (capitale du pays). La violence est montée à son plus haut degré. Face à cette situation, l’intervention étrangère est-elle à envisager ? Voilà ! La question est posée. Et il faut en débattre, en discuter, en parler même longuement et faire un vote !
Évidemment, il s’agit du Burundi… Mais il peut s’agir aussi du Congo, de la France, de la Syrie, du Québec ou même de nos sociétés locales. La structure du théâtre demeure la même : faire un vote pendant que l’autre souffre ! Faire un débat afin de savoir si la mort de l’autre convient aux critères d’un génocide ou d’un simple crime contre humanité…
Vous pouvez me reprocher que depuis un certain temps, j’ai commencé à écrire des articles culpabilisants. Devrais-je me justifier ! Ou devrais-je me taire pendant que nos frères et sœurs sont égorgés du jour au lendemain. Je suis donc convaincu qu’ensemble nous pouvons dépasser ce stade qui fait des discours sur la souffrance des êtres humains, nos semblables. Ces écrits essaient de solliciter cette vaine fragile de nos racines humaines. L’urgence de soutenir l’humain dépasse, me semble-t-il, nos frontières géographiques. Juste passer l’information, cela peut faire bouger les choses, car ce qui se dessine présentement au Burundi ou au Congo risque de s’appeler génocide dans les jours à venir…  En fin de compte, à qui profite le crime ?
Fr. Gaston Mumbere, a.a.

vendredi 18 décembre 2015

20 ans de silence sur les 8 millions de morts au Congo


La bataille se passe désormais sur les corps des femmes, des enfants et hier sur les corps des malades qui ont été égorgés sauvagement le dimanche 29 novembre 2015 à l’Est de la République du Congo.
En fait, depuis 1994 lors du génocide de 800 mille rwandais, l’Est de la République Démocratique du Congo fut un lieu d’accueil pour les réfugiés venant du Rwanda (1,5 million des réfugiés civils et militaires traversent la frontière). C’est fut malheureusement aussi le début du calvaire pour les populations du Kivu (à l’Est du Congo)
Je me souviens encore. J’avais 16 ans. Et je vivais à Beni. Beni qui est maintenant une ville martyre qui voit couler jour et nuit le sang de ses filles et fils. Oui, j’avais 16 ans et les congolais qui sont dans la salle peuvent en témoigner : nous avons alors assisté à l’invasion massive de nos territoires par les rwandais et les ougandais sous prétexte de chasser les réfugiés hutus alors présents au Congo. Pourquoi venir pourchasser ces réfugiés au-delà de leurs frontières ? Cette question demeure depuis longtemps nébuleuse. Et ce sera à cette même occasion que ces envahisseurs appuieront l’opposant – rebelle  congolais Laurent Désiré Kabila à 1997 à renverser le règne de 32 ans au pouvoir du dictateur Mobutu Seseseko président du Zaïre. Avec  Laurent Désiré Kabila, le Zaïre deviendra La République Démocratique du Congo.
Et depuis ce temps, le but de la présence rwandaise et ougandaise sur le sol congolais demeure flou. Au lieu de pourchasser les réfugiés hutus rwandais, on assiste plutôt à des guerres ethniques ou civiles, aux massacres, aux viols sexuels systématiques, aux pillages de ressources minières dont le coltan matière indispensable pour les téléphones et d’autres appareils intelligents, on assiste aux enlèvements (juste pour l’année dernière on enregistre plus 800 personnes kidnappées, dont ma grand-mère et trois prêtres assomptionnistes), on assiste aussi maintenant aux égorgements à l’arme blanche. Plus de 600 personnes égorgées. À qui profite ce crime ? À qui profite ce génocide ?
Toutes ces atrocités se passent sous silence. Personne ne veut parler pour cette fille violée plus 7 fois. Ni les médias, ni le gouvernement congolais, ni la communauté internationale, sauf quelques voix qui se lèvent : dont le parlement de Québec qui a voté à l’unanimité l’année dernière une motion qui condamne les massacres du Congo. Bravo et félicitation !
Avant, j’étais gêné et timide de parler du Congo. Cependant, lorsque j’essaie d’en parler aux québécois et québécoises, je me sens soutenu et écouté. Il me semble alors qu’il est temps de briser le silence, ensemble avec vous ! Il n’est jamais trop tard de parler pour cette femme violée. Il n’est jamais trop tard de faire apprécier la vie à ces jeunes nés dans la guerre… Il n’est jamais trop tard de poser un petit geste. Il n’est jamais trop tard. Bon cinéma !
Fr. Gaston Mumbere,

Prêtre Assomptionniste      Québec, le 9 décembre 2015