Monsieur le Président,
Comment allez-vous ce matin ! Je
ne sais pas comment m’y prendre pour écrire à monsieur le président de la
République. Peu importe ! Je m’imagine que la vie quotidienne de tout humain ne
s’éclipse pas à cause de ses hautes responsabilités. Oui, Président de la
République ? Tout le monde est d’accord. Je l’atteste parce que j’ai moi-même
voté pour vous ! Mais avant tout vous êtes un homme. Vous respirez, vous
mangez, vous buvez. Vous avez une femme et des enfants. Vous êtes un homme.
Vous éprouvez des moments de joies ou des moments de souffrances. L’exaltation,
la gloire, la souffrance, la fragilité, la finitude rythment la vie des femmes et
des hommes sur terre.
Des femmes et des hommes! Ils ne
sont pas éternels. Ils meurent. Les plus
vigoureux peuvent vivre au-delà de 80 ans. De toute façon les hommes doivent
mourir. Personne n’y échappe. C’est la finitude indispensable. Devant cette
réalité, en tant qu’humain, je me pose plusieurs questions découlant d’une
apparente banalité cruelle (massacres, viols, enlèvements, égorgements) dont sont
victimes les populations à l’Est de la République dite Démocratique du Congo.
Pourquoi égorger des enfants qui n’ont pas encore vécu ? Monsieur le président,
ce n’est pas une fiction ! Les images sont atroces. Elles sont sous mes yeux.
Les enfants broyés à coup de marteaux. Il n’y a pas que des enfants. Des
adultes aussi sont ligotés et égorgés.
Ils sont nombreux
ces hommes comme vous qui sont précipités dans la mort. Ces femmes, comme votre
épouse, qui sont violées et assassinées.
Les cadavres de leurs enfants gisent dans le sang qui coule à flots sur la
terre rougeâtre de Beni. Le cas le plus récent s’est passé hier (le 3 mai 2016)
comme le rapporte la radio moto d’Oïcha :
«Seize personnes
tuées à la machette, hache et autres armes blanches ainsi que des armes en feu,
voilà le bilan provisoire de l’incursion de rebelles ougandais de l’ADF
présumés, dans le village MINIBO, dans la localité de
BAUNGATSU-LUNA, voisine de celle de ERINGETI. Selon des sources au niveau
local, les meurtres se sont déroulés non loin de la position de casques bleus
népalais de la MONUSCO à ERINGETI. Les FARDC sont intervenus et l’ennemi s’est
enfui vers une destination inconnue. Signalons que l’opération a commencé
autour de 18 heures le soir de mardi à mercredi le 4 mai. Rappelons que depuis
lundi dernier, 17 personnes dont 6 d’une même famille qui étaient dans un lieu
de deuil à LESE ont été enlevées. Jusqu’à présent les habitants de ce village
s’interrogent sur la destination et le sort des otages. La notabilité locale déplore
l’inaction de l’armée pour protéger la population. Publié mercredi 4 mai
2016 »
Cher président de
la République, je sais que vous êtes un politicien. Vous tenez au projet de
votre parti politique. Le projet ! C’est la sécurité, le développement, l’éducation,
la santé, les élections… la paix. Un projet pour toute la République. Un projet
même pour le territoire de Beni, de Lubero. Un projet aussi pour l’Est de la
République.
En outre, je sais
que vous êtes débordé par vos responsabilités présidentielles et l’agenda de
vos partenaires et vos parrains politiques. Vous êtes donc un président
important. Vous avez du pouvoir. Toutefois, ces lignes griffonnées pour vous,
s’adressent d’abord à un homme. Un homme de chair et qui, de temps en temps expérimente
les aléas de la finitude, de la souffrance. C’est à cet homme que j’écris. Oui,
il porte la casquette du président, mais il reste humain. Je parie que la
présidence de la République ne lui enlève pas son humanité.
Je lui demande de
s’intéresser à ce qui se passe à Beni, au Kivu. Pourrait-il envisager une
enquête sérieuse pour une justice adéquate ? Si cet homme à qui j’écris est président de la
République, il l’est pour gouverner les peuples. Et pourtant les morts se
comptent en millions. 8 million de morts. Et chaque jour ce chiffre n’arrête pas
de croitre. À ce rythme, vous, cet
homme, pourrez devenir le président des morts, le président des cimetières, le
président des fausses communes. Cher président, les survivants de Beni, du Kivu
se demandent s’ils font encore partie du territoire que vous êtes supposé gouverner…
Ces survivants et
leurs amis sont encore nombreux. Chacun va vous écrire. S’il vous plait prenez
le temps de lire leurs angoisses… Peuvent-ils encore compter sur vous ?
Êtes-vous toujours apte et compétent pour entendre ces cris des humains de
Beni. Si vous êtes toujours compétent alors que vous n’agissez pas, la logique
de la complicité risque de vous voir accuser.
Merci pour
l’attention que vous réservez déjà à cette lettre.
signé
Père Gaston
Mumbere,
- Membre de la
congrégation des Augustins de l’Assomption (Congrégation du père Vincent
Machozi assassiné parce qu’il vous avait cité dans les massacres à l’Est du
Congo, des Jean-Pierre Ndulani, Edmond Bamtupe, Anselme Wsukundi kidnappés
depuis bientôt 3 ans)
- Membre du
Mouvement Paix au Congo du Québec
P.s. Voici ce que
j’écris sur l’enveloppe : Au président de la République Démocratique du
Congo, à Kinshasa. J’espère que ma lettre arrivera à destination. De toute
façon, je ne m’inquiète pas. Tout le monde connait bien ce pays et son
président. Le pays est désormais connu. C’est la capitale mondiale du viol. La
lettre devrait bien vous parvenir…
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