mercredi 4 mai 2016

Le sang coule sur le territoire de Beni (lettre au président de la République)


Monsieur le Président,
Comment allez-vous ce matin ! Je ne sais pas comment m’y prendre pour écrire à monsieur le président de la République. Peu importe ! Je m’imagine que la vie quotidienne de tout humain ne s’éclipse pas à cause de ses hautes responsabilités. Oui, Président de la République ? Tout le monde est d’accord. Je l’atteste parce que j’ai moi-même voté pour vous ! Mais avant tout vous êtes un homme. Vous respirez, vous mangez, vous buvez. Vous avez une femme et des enfants. Vous êtes un homme. Vous éprouvez des moments de joies ou des moments de souffrances. L’exaltation, la gloire, la souffrance, la fragilité, la finitude rythment la vie des femmes et des hommes sur terre.  

Des femmes et des hommes! Ils ne sont pas éternels. Ils meurent.  Les plus vigoureux peuvent vivre au-delà de 80 ans. De toute façon les hommes doivent mourir. Personne n’y échappe. C’est la finitude indispensable. Devant cette réalité, en tant qu’humain, je me pose plusieurs questions découlant d’une apparente banalité cruelle (massacres, viols, enlèvements, égorgements) dont sont victimes les populations à l’Est de la République dite Démocratique du Congo. Pourquoi égorger des enfants qui n’ont pas encore vécu ? Monsieur le président, ce n’est pas une fiction ! Les images sont atroces. Elles sont sous mes yeux. Les enfants broyés à coup de marteaux. Il n’y a pas que des enfants. Des adultes aussi sont ligotés et égorgés.
Ils sont nombreux ces hommes comme vous qui sont précipités dans la mort. Ces femmes, comme votre épouse,  qui sont violées et assassinées. Les cadavres de leurs enfants gisent dans le sang qui coule à flots sur la terre rougeâtre de Beni. Le cas le plus récent s’est passé hier (le 3 mai 2016) comme le rapporte la radio moto d’Oïcha :

«Seize personnes tuées à la machette, hache et autres armes blanches ainsi que des armes en feu, voilà le bilan provisoire de l’incursion de rebelles ougandais de l’ADF présumés, dans le   village MINIBO, dans la  localité de BAUNGATSU-LUNA, voisine de celle de ERINGETI. Selon des sources au niveau local, les meurtres se sont déroulés non loin de la position de casques bleus népalais de la MONUSCO à ERINGETI. Les FARDC sont intervenus et l’ennemi s’est enfui vers une destination inconnue. Signalons que l’opération a commencé autour de 18 heures le soir de mardi à mercredi le 4 mai. Rappelons que depuis lundi dernier, 17 personnes dont 6 d’une même famille qui étaient dans un lieu de deuil à LESE ont été enlevées. Jusqu’à présent les habitants de ce village s’interrogent sur la destination et le sort des otages. La notabilité locale déplore l’inaction de l’armée pour protéger la population. Publié mercredi 4 mai 2016 »

Cher président de la République, je sais que vous êtes un politicien. Vous tenez au projet de votre parti politique. Le projet ! C’est la sécurité, le développement, l’éducation, la santé, les élections… la paix. Un projet pour toute la République. Un projet même pour le territoire de Beni, de Lubero. Un projet aussi pour l’Est de la République.

En outre, je sais que vous êtes débordé par vos responsabilités présidentielles et l’agenda de vos partenaires et vos parrains politiques. Vous êtes donc un président important. Vous avez du pouvoir. Toutefois, ces lignes griffonnées pour vous, s’adressent d’abord à un homme. Un homme de chair et qui, de temps en temps expérimente les aléas de la finitude, de la souffrance. C’est à cet homme que j’écris. Oui, il porte la casquette du président, mais il reste humain. Je parie que la présidence de la République ne lui enlève pas son humanité.

Je lui demande de s’intéresser à ce qui se passe à Beni, au Kivu. Pourrait-il envisager une enquête sérieuse pour une justice adéquate ?  Si cet homme à qui j’écris est président de la République, il l’est pour gouverner les peuples. Et pourtant les morts se comptent en millions. 8 million de morts. Et chaque jour ce chiffre n’arrête pas de croitre. À ce rythme,  vous, cet homme, pourrez devenir le président des morts, le président des cimetières, le président des fausses communes. Cher président, les survivants de Beni, du Kivu se demandent s’ils font encore partie du territoire que vous êtes supposé gouverner…

Ces survivants et leurs amis sont encore nombreux. Chacun va vous écrire. S’il vous plait prenez le temps de lire leurs angoisses… Peuvent-ils encore compter sur vous ? Êtes-vous toujours apte et compétent pour entendre ces cris des humains de Beni. Si vous êtes toujours compétent alors que vous n’agissez pas, la logique de la complicité risque de vous voir accuser.
Merci pour l’attention que vous réservez déjà à cette lettre.

signé

Père Gaston Mumbere,
- Membre de la congrégation des Augustins de l’Assomption (Congrégation du père Vincent Machozi assassiné parce qu’il vous avait cité dans les massacres à l’Est du Congo, des Jean-Pierre Ndulani, Edmond Bamtupe, Anselme Wsukundi kidnappés depuis bientôt 3 ans)
- Membre du Mouvement Paix au Congo du Québec

P.s. Voici ce que j’écris sur l’enveloppe : Au président de la République Démocratique du Congo, à Kinshasa. J’espère que ma lettre arrivera à destination. De toute façon, je ne m’inquiète pas. Tout le monde connait bien ce pays et son président. Le pays est désormais connu. C’est la capitale mondiale du viol. La lettre devrait bien vous parvenir…

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