C’est le moment du répit avant
peut-être le prochain massacre. Sarcasme et délire se succèdent. Les langues se
délient et le venin se répand. À peine deux jours après les derniers massacres,
les commentaires et les interprétations dissipent déjà les cris de ceux qui
pleurent. Les uns parlent des milices de la montagne, et les autres pointent du
doigt les milices de la vallée ou alors de la plaine. Les forces loyalistes se
retrouvent aussi sur la liste des accusés. Les discours se multiplient, les
médias sociaux s’y mêlent, on entend qu’il s’agit d’une mascarade électoraliste
ou d’une occupation du territoire en douceur, ou alors de la folie de
l’exploitation minière... Puis, les discours s’enchainent jusqu’à donner lieu
aux bagarres d’interprétations où les ethnies sont convoquées au banc des
accusés. Entre temps, on ne voit plus les corps qui gisent sous le soleil
accablant de Beni ; on ne voit plus cette femme inconsolable devant les corps
sans vie de ses deux enfants. Du coup, la réalité de massacre s’efface
progressivement au profit de la diversion ou de l’acharnement statistique sur
le nombre de victimes ou encore au profit des discours qui font porter le poids
de massacres à une ethnie qui s’entretue constamment, dit-on.
Vers la fin des discours, tout le
monde désire un avenir radieux pour les générations à venir ou pour les enfants
qui sont en train de naître déjà orphelins. Le problème, ce qu’on en parle en des
termes individuels ! La communauté s’envole dans le songe de quelques fous. Ce
qui compte, c’est ce qu’on amasse dans ses poches, ces billets verts qui
bientôt seront rouges, car provenant du sang humain qui n’arrête de couler. On
se préoccupe beaucoup d’une maison incendiée loin dans la forêt sur la route de
Musienene que de la route de collectivité ou d’un hôpital pour les femmes
violées. Ce qui compte, ce n’est pas l’histoire de Kasabinyole, Paida, Kasanga
ou Kasinga, ces quartiers marqués à jamais par les affres de Kalachnikov dans
la nuit du 22 septembre 2018. Ils sont morts et c’est la fin de l’histoire.
Leur histoire ne fait pas événement et de ce fait elle n’est pas télévisée.
C’est une histoire qui ne peut jamais capter le spectateur. Ce dernier semble
plutôt adepte des faits divers. Entre temps, le géant écrase les
petits, c’est lui le gagnant, il réussit à écarter même la moindre sensibilité
humaine au profit des faits divers.
La distraction emballe et
aveugle. On ne voit plus cette femme qui crie durant toute la nuit, elle est toute
seule et n’arrive pas à enterrer ses morts. On ne la voit plus et on ne
l’entend plus. Les billets verts nous éloignent d’elle. On s’enivre et on
ricane comme si la vie était devenue un théâtre banal où l’humain se refuse de
penser. Et pourtant, l’analphabète même le plus ignorant de tous voit toujours
gémir la naissance du monde dans le pays de l’éducation... C’est son rêve de
tout le temps. Il rêve de ce pays où les prisons se videront, les avocats et
les juges revêtiront fièrement leurs toges et les lettres de noblesse seront
rendues à la mère de tous qu’est l’éducation, la vraie !
Gaston Mumbere,
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